Le combat d'un fou [réservé]

Une semaine avait passé depuis le retour des populations sur Grüm. L'expédition en Dokhassie, qui s'était révélée porteuse d'une véritable source d'espoir et d'ambition, s'était finalement résumée en une course à la survie, menant bien rapidement au retour de toutes les troupes.

Vlad n'avait pas digéré cela. Laisser derrière lui tous ces trésors qui promettaient une puissance sans équivalent ne l'enchantait guère. Lui qui avait promis à ses hommes le succès, il se retrouvait pour la première fois de sa vie bredouille. Ces noires pensées lui firent même oublier qu'il était tout de même l'un des seuls détenteurs d'un pouvoir surhumain.

Oui, il ne pensait même plus à l'Arme Céleste, celle pour qui il s'était battu, et qui avait comblé son cœur plus que tout autre chose. A cet instant, l'homme se sentait délaissé, vidé de toute envie, de tout espoir, misant sur la fatalité du destin qui l'avait placé ici. Mais si Vlad oubliait le pouvoir de l'arme, l'arme elle n'oubliait pas l'influence qu'elle avait sur le chef Hors-la-loi. L'Arme Céleste accroissait de jour en jour son emprise sur l'homme. Bientôt, elle réduirait à néant son âme, qui se détruisait elle-même par la déception. Oui, si Vlad avait été moins avide de puissance, et plus attaché aux valeurs immatérielles, il n'en serait pas là.

Sentant malgré tout que l'influence de l'arme se faisait de plus en plus pesante sur son âme, Vlad estima tout de même qu'il était temps de faire quelque chose. Ce fut sur un coup de tête qu'il quitta son repaire, accompagné d'un seul homme. Il portait péniblement sur ses épaules une lourde caisse en bois, qui, à vu d'œil, devait bien peser plus de soixante kilos.

Débuta alors un périple de quelques heures, vers le sud. Les deux hommes n'échangèrent aucun mot. Le Hors-la-loi qui l'accompagnait, fier d'avoir été choisi, s'inquiétait pourtant de la tâche qui allait lui être inculquée, car son chef ne lui avait strictement rien dit. Cependant, il ne dit mot.

Leur marche s'acheva après qu'ils aient contourné le lac Seöl et le village d'Eagol. Ils s'arrêtèrent dans un petit bosquet, situé à un petit kilomètre du village. Vlad déposa lourdement la caisse au sol, puis, regardant le crépuscule qui débutait, il dit alors à son compagnon :

"Va chercher Armetia! Dis-lui de venir, avec mon fils!"

Voyant que le Hors-la-loi hésitait, face au ton neutre qu'il avait employé, il lui dit alors en beuglant :

"Allez plus vite que ça incapable! Ah, et pendant qu'j'y suis! Dis-lui d'me ramener quelque chose à picoler!"

Le Hors-la-loi ne se fit pas prier. Sur ces saintes paroles, il laissa son chef, seul. Vlad, après s'être délecté de ce coucher de soleil, se retourna vers la caisse qui se trouvait au sol. Il l'ouvrit, et souleva deux chaînes forgées, lourdes chacune d'une bonne trentaine de kilos : des pièces métalliques monstrueuses. A quoi pouvaient-elles servir? A fixer des lourdes poutres, ou bien à retenir une masse immense?

Pour répondre à ces questions venues de nulle part, Vlad prit l'une des chaînes, et fit le tour du plus gros tronc qu'il trouva, il la fixa solidement, puis, il en fit de même avec la deuxième. Son front perlait de sueur.
Il regarda les deux pendants de chaînes : tout deux avaient sur leur extrémité libre un fermoir. L'homme parut hésiter, puis il se lança :

CLIC CLIC

Il referma les deux chaînes sur ses chevilles. Voilà qu'il s'était enfermé lui-même. Bien sûr il aurait été possible de le libérer en abattant l'arbre, mais à vrai dire, ce stratagème n'était pas là pour le protéger lui, mais pour protéger les autres de lui-même. Un sourire se dessina sur son visage. Comme si un interlocuteur se tenait à quelques mètres de lui, il se mit à lui dire en hurlant :

"T'as vraiment cru qu'tu pouvais m'avoir? Ah! On m'la fait pas à moi celle-là! Eh eh eh!"

Délirait-il? Après s'être calmé, il se pencha en avant, et ramassa une cape noire qu'il avait placé dans la caisse avant de partir. Il l'enfila, en mettant soigneusement la capuche qui dissimula la partie supérieure de son visage. Puis, il attendit, calmement, fixant les rayons du soleil qui s'estompaient lentement.

Voilà que sur les hauts d'Eagol se tenait une scène pour le moins étrange : harnaché au niveau des chevilles par deux lourdes chaînes reliées à un vieux chêne, une masse de muscle se tenait là, debout, les bras croisés. Une longue cape noire tombait sur ses épaules nues. A sa ceinture pendait une arme aux allures anciennes et aux courbes puissantes. Cet homme qui devenait fou, avait inspiré la peur et le respect au sein du cœur de beaucoup des ennemis qu'il avait combattu, mais aujourd'hui, il se combattait lui-même...

Vlad ne fut pas confronté bien longtemps à cette douce folie qui se développait en lui, en effet, Armetia ne mit pas beaucoup de temps à accourir, accompagnée du Hors-la-loi. Elle s'approcha rapidement de Vlad, tenant Angel dans ses bras. Lorsqu'elle porta sa main à son visage, il la repoussa bien rapidement, la saisit par les épaules, et la plaça à distance respectable. Les chaînes à ses pieds étaient tendues.

Il s'apprêtait à dire quelque chose, mais il aperçut le Hors-la-loi derrière son amante. Il le regarda, puis, le regard chargé de gratitude, il lui dit :

"Merci! Tu peux rentrer à Galia! Dis rien de ce qu'il s'est passé aux autres! Et dis leur de pas s'inquiéter!"

Le Hors-la-loi comprit que quelque chose se passait. Vlad aurait bien prolongé cette discussion car c'était sûrement un des derniers hommes de son clan qu'il reverrait, mais ça, personne ne le savait. Peut-être pas tout à fait le dernier...

Il reporta son attention sur Armetia et Angel. Ils n'étaient plus que tous les trois à présent. Il dit alors en voulant se rapprocher d'eux, mais il fut retenu par les chaînes :

"C'est fini! Je vais enfin avoir ce que je mérite..."

Il regarda en alternance l'Arme Céleste et les chaînes qui le retenaient aux pieds, puis, un sourire de fatalité se dessina sur son visage. Il regarda Armetia, puis il lui dit :

"L'arme prend possession de mon âme! Si je fais rien, d'ici quelques jours, j'aurais complèt'ment disparut!"

Armétia était énormément secouée de voir l'expression qui se trouvait dans les yeux de Vlad. Lorsqu'il la repoussa à une distance acceptable, elle se laissa faire sans protester et sans le quitter des yeux. Elle savait que l'arme qu'il possédait le rongeait de l'intérieur, mais elle ne pensait pas que ça serait si vite...

-Tu mérites de vivre, Vlad... tu mérites de voir tout le bien qui t'entoure, tu ne mérites surtout pas de te laisser mourir par cette arme.

Elle baissa les yeux pour regarder son fils, pouvant difficilement supporter la vue des chaînes autour des chevilles de son amant. Elle fit un pas vers l'avant, toujours agenouillée, pour qu'elle puisse le toucher de ses doigts. Armétia releva ses yeux remplis d'inquiétude vers cet homme devant elle.

Elle savait que ses sentiments jouaient un rôle dans ses paroles, mais elle ne pouvait pas rester là à ne rien dire. Seulement elle se demandait pourquoi il l'avait fait quérir, mais elle n'osait pas le lui demander...

-Mais qu'est-ce que tu peux faire pour empêcher cette arme de te faire disparaître complètement? Et tes chaînes à tes pieds vont te servir à quoi?

Elle secoua la tête signe qu'elle était complètement dépassée par les événements.

-Je ne comprend plus rien...C'est insensé...

Vlad arbora un sourire. Bien sûr, elle ne le considérait pas comme la personne qu'il était réellement. Elle voyait en lui le peu qu'il avait de bon. Cela avait toujours surpris le Hors-la-loi à un plus haut point. Armetia était une cheftaine exceptionnelle, capable de tout, prête à aider dès que cela le nécessite, et prête à tuer n'importe qui de sang froid.

Il dévisagea longuement cette femme d'une beauté rarissime, puis son regard se porta vers son fils, si jeune, et pourtant déjà confronté à la mort. Tous trois auraient pu fonder une famille. Mais cela était sans compter sur le fond mauvais de Vlad : il était guidé par le seul appât du gain, et par son amour pour la guerre et la puissante maîtrise du métal.

Il écouta Armetia se poser tant de questions, regarder avec affolement les chaînes qui le retenaient prisonnier. Elle était au bord des larmes, face à un désarroi sans pareil. Vlad lui prenait cela avec le sourire. La mort n'était pas une fatalité, du moins pas plus que la perspective d'une vie guidée par un démon.

Il lui dit seulement comme s'il parlait par un souffle :

"On peut rien faire... Mais ça on le sait tous les deux! Et j'le savais avant de toucher cette arme..."

C'était dit, Vlad avait décidé de ne pas tourner autour du pot. Face à lui se tenaient deux des quatre personnes qui comptaient réellement à ses yeux. Sa famille, c'était eux : Armetia, Angel, Nerina et Spaz. Il ne pouvait pas leur mentir.

Il baissa alors la tête. Il ne ressentait plus rien. Son âme était emplie de la noirceur du démon qui avait autrefois possédé l'Arme Céleste. Il avait puisé dans ses forces pour arriver jusqu'ici, et offrir à ses proches une dernière compagnie intime.

Puis, comme c'était à prévoir, le peu de conscience qui lui restait s'estompait progressivement. Certainement que cette entité cherchait à faire disparaître le soupçon de sentiments qui lui restait. Sans même prévenir, Vlad se jeta en avant, guidé par une pulsion maléfique, comme s'il avait voulu s'en prendre à Armetia. Mais bien vite, il fut retenu par les chaînes, et ne put l'atteindre.

Stoppé dans son élan, Vlad recouvra rapidement ses esprits. Honteux de ce qui lui arrivait, il se dirigea vers l'arbre auquel il était attaché, puis il prit appui contre lui. Les larmes voulaient sortir, mais il en était incapable. Il se retourna, le visage rougit, et les yeux emplis d'une noirceur qui lui était jusque là inconnue. Il dit à Armetia :

"J'suis venu juste pour vous! Pour vous voir avant de mourir! Mais j'suis condamné, on peut rien faire pour moi!"

Armétia tint toujours son fils dans une main, l'enfant assis sur sa cuisse, et elle ne fit aucun mouvement pour éviter Vlad lorsqu'il s'élança vers eux. Elle ne quittait son regard seulement lorsque lui en décidait ainsi, lorsqu'il changeait de direction.

L'elfe était trop heureuse de le voir devant elle, mais aurait préférée qu'il n'aie pas ses chaînes accrochées après ses cheville, elle savait qu'il n'avait pas d'autre solution puisqu'il n'était plus le même et c'est surtout ce qui la mettait dans cet état.

-Je sais que tu n'as pas d'autre choix, Vlad et que tu n'es plus le même... mais je ne peux pas cesser de penser que tu ne mérites pas cela, c'est plus fort que moi...

Elle baissa la tête, légèrement honteuse d'être si fragile, si faible avec lui, alors qu'avec les autres elle était beaucoup plus froide... Lorsqu'elle avait vu Vlad, ce fameux soir, elle avait ressenti tout le bien qu'il possédait ainsi que la grande partie de mal qui faisait l'homme fort qu'il était... Elle en était tombée amoureuse après cela...

-Écoute, Vlad... si tu comptais seulement venir nous voir pour qu'ensuite tu meurs dans ton coin sans qu'on ne fasse rien, sache que tu te trompes, mon ange. Je ne compte pas te laisser partir maintenant que tu es là. J'apprécie trop ces moments passés avec toi et notre fils...

Malgré tout ce que Vlad avait fait pour éviter un quelconque rapprochement, Armétia s'avança légèrement pour poser complètement sa main gauche sur sa joue et la caresser doucement.

-Je sais que tu n'es plus le même mais je ne te quitterai pas à cause de cette satanée arme que tu as à la ceinture... Tu auras beau envoyé tous tes hommes pour m'empêcher de rester là, aucun ne réussira à m'arrêter, je suis prête à tout.. même si j'ai de la difficulté à m'imaginer sans toi.

Elle avait prononcé la dernière phrase dans un simple souffle ne sachant pas si son amant l'avait entendu. Lorsqu'elle fermait les yeux, elle pouvait les imaginer tous les trois avec Spaz et Nerina autour d'eux, formant une magnifique famille... seul son fils savait à quoi elle pensait le soir.

Vlad sourit en entendant Armetia : elle était têtue et avait du caractère. Il aimait beaucoup cela. Lorsqu'elle eut finit, il lui répondit sur un ton calme et neutre :

"J'vous ai pas fait venir pour crever tout seul dans mon coin! Si c'était l'cas, j'serais déjà plus d'ce monde!"

Il la repoussa légèrement, puis il baissa la tête, son regard parcourant chaque brin d'herbe qui entourait ses pieds enchaînés. Il se déplaça un peu sur le côté, puis il s'agenouilla près des victuailles que lui avait apportée son amante. Il sortit une bouteille d'un quelconque alcool - peu importait le contenu - puis il la déboucha avant d'en boire deux grosses gorgées.

Il se releva, puis il lui dit :

"Tu comprend pas! C'est trop tard! Soit je crève, et mon âme reste intacte! Soit mon corps vit, et mon âme pourrit au point que vous me reconnaîtrez pas!"

Vlad avait trop attendu, et il avait ce qu'il méritait. User sans vergogne d'un pouvoir avait toujours des conséquences collatérales.

"J'étais au courant, tu l'étais aussi! Toute chose a une fin! Et si y a bien une chose que j'ai plus envie de faire, c'est d'me battre, essaie de comprendre s'il te plaît..."

Il se déplaça à nouveau vers le panier, puis il sortit cette fois une miche de pain, dans laquelle il croqua à pleines dents. Tandis qu'il se délectait de ce repas, il sentait son cœur s'assombrir à nouveau. Rien qu'il ne puisse contrôler, mais ses pensées était habitées par des choses bien plus horribles que tout ce qu'il avait pu faire.

Son esprit l'abandonnait au profit de celui d'un autre, il le sentait. Ses heures étaient comptées. Pourvu que tout ce qu'il avait prévu se déroule sans problème...

Vlad fut soulagé qu'Armetia n'essaie pas une nouvelle fois de la raisonner en vain. Il écouta cette question, puis il leva les yeux au ciel. A travers le feuillage se profilaient les derniers rayons d'une journée ensoleillée. Profitant de ces riches instants, il huma l'air frais à plein poumons, puis il répondit à son amante :

"J'ai déjà tout prévu. Nerina ne devrait plus tarder..."

Vlad aperçut l'interrogation dans le regard d'Armetia. Il ne l'avait mis au courant de rien du tout. Il s'approcha légèrement, puis il regarda son fils, endormi dans les bras de son amante. Cette vision le réconfortait, et l'attristait en même temps.

Il allait laisser derrière lui une vie et une famille. Il s'en rendait compte trop tard, mais ce qui était fait était fait. Son regard indiscret passa sur le doux visage de l'elfe, puis sur ses formes qui l'avaient attiré l'espace d'une nuit... Une nuit de trop? Non, il ne le pensait pas. Si cette nuit n'était pas arrivée, il ne l'aurait pas rencontré.

Il ne lui avait jamais dit, mais elle avait opéré en lui bien plus de changements qu'il n'osait se l'avouer. Puis, les minutes passèrent. Tous trois profitèrent de cet instant, sans même pouvoir se toucher, mais leur présence réciproque suffisait. Enfin, ce fut deux petites formes qui se mouvaient au loin qui attirèrent l'attention de Vlad. Il se dressa sur les pointes de pied, et fixa les deux nouveaux arrivants, puis il dit seulement :

"Les voilà!"

Les deux femmes qui arrivaient marchaient lentement. Cependant, l'une d'elle, la plus jeune semblait-il, à la courte chevelure de jais, se mit à courir à toute allure lorsqu'elle sembla reconnaître la personne qui se tenait près de cet arbre. Elle grimpa la petite pente à grandes enjambées, puis, passa en trombe devant Armetia en l'ignorant, et se jeta sur son frère, en pleurs. Elle lui envoya une gifle qui claqua dans l'air, et qui laissa une trace rouge sur la joue de Vlad.

Avant même qu'Armetia n'ait pu réagir, il lui fit un signe de la main comme quoi tout était normal. Pendant ce temps, Nerina les avait rejoint. La nouvelle inconnue et Vlad se fixaient avec insistance, quelques centimètres seulement les séparant, puis, le Hors-la-loi saisit finalement la jeune fille dans ses bras, qui se laissa complètement aller à cette étreinte maladroite mais chaleureuse.

Vlad ferma les yeux, et se remémora alors tous les souvenirs que lui évoquait cette jeune fille. La chaleur de son corps lui provoquait une agréable sensation, mais aussi un intense sentiment de culpabilité. L'étreinte dura quelques minutes, puis Vlad relâcha la fille dont le visage était parcouru de dizaines de larmes.

Il l'invita à se tourner vers Armetia, puis il dit :

"Leanora, je te présente Armetia, ma..."

Il hésita quelques secondes, puis il dit finalement :

"femme, et Angel, mon fils. Armetia, je te présente Leanora, ma jeune sœur."

Vlad préféra ne pas en dire plus pour le moment. Le fait que Leanora découvre que son frère n'avait pas attendu pour refonder une famille sans elle, et qu'Armetia se rende compte qu'il avait une sœur dont il ne lui avait jamais parlé provoquerait certainement un effet inattendu.

Face à ces étranges retrouvailles, Vlad tourna le regard vers Nerina, puis, sans même dire un mot, lui adressa toute la gratitude qu'il ne lui avait jamais exprimé jusque là. Son regard suffisait et en disait long sur l'estime qu'il avait de la jeune femme.

Armetia attendit que les deux femmes s'approchent avant de bouger. Elle avait reconnu la première de loin avec sa vision elfique mais la seconde ne lui disait rien sauf peut-être l'aura qui l'entourait, elle ressemblait à une qu'elle avait déjà vu. Elle jeta un rapide coup à Vlad, ce qu'elle pouvait aimer cet homme, il l'avait fait changé plus qu'elle ne le croyait. Lorsqu'elle vit son regard sur elle, elle lui fit un sourire éclatant malgré l'inquiétude qu'elle ressentait face à ce qui arrivera.

Lorsque le hors-la-loi parla, Armétia sortit de ses pensées pour porter son regard vers les deux jeunes femmes qui approchaient rapidement, très rapidement. Elle regarda celle qui accompagnait Nerina s'avancer vers Vlad et le frapper. Les yeux de la cheftaine se plissèrent prête à intervenir, mais se ressasit avec le signe de son amant. Elle attendit patiemment aux côtés de Nerina.

Elle fut assez surprise lorsque l'homme fit les présentations: sa soeur ? Pourquoi ne pas lui en avoir parlé avant ? Elle fronça les sourcils tout en s'approcha du frère et de la soeur. Lorsqu'elle fut à une distance raisonnable, elle s'arrêta tenant toujours son fils dans ses bras, bien endormi. Elle ne pouvait pas lui en vouloir, tout le monde à droit à des secrets, elle-même ne lui a pas tout raconté de sa vie. Elle regarda alternativement Vlad et Leanora avec un visage neutre, mais après quelques secondes, elle leur sourit.

-Je savais que votre aura me disait quelque chose... Je suis ravie de vous rencontrer, mademoiselle...

Elle ne tendit pas la main, et elle était loin d'ignorer que si Vlad n'avait pas parlé de leur relation avant à sa jeune soeur, cette dernière ne réagirait pas en sautant de joie, c'est pourquoi elle ne broncha pas attendant la réaction de la demoiselle. Elle ne pouvait s'empêcher de sourire à la manière dont Vlad l'avait présentée, elle lui fit un sourire très léger...

Vlad regardait sa sœur avec appréhension lorsqu'elle fut confrontée à Armetia et Angel. Quand son amante avait adressé la parole à la jeune fille, l'homme craignait qu'elle ne réagisse mal. Il s'empressa alors de dire à sa sœur :

"Tu vois dans ses bras? C'est ton neveu! Il s'appelle Angel!"

Leanora fit volte-face et elle le regarda avec des yeux écarquillés. Elle regarda longuement Angel, semblant perdue dans ses pensées. Tout le monde attendait qu'elle dise quelque chose, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle se retourna vers Vlad, les yeux embués, mais les joues dénuées de larmes, puis elle lui dit d'une voix faiblarde :

"Je vois que tu as fondé une famille..."

Vlad baissa le regard. Il n'était jamais retourné sur Nétorias. Oui il aurait pu aller chercher sa sœur, rendre visite à ses parents. Mais sa tête était mise à prix, il ne valait mieux pas pour eux qu'il les approche. Cependant, Leanora continua :

"Je suis contente pour toi. Mais j'aurais aimé faire partie de ta famille moi aussi!"

Vlad s'apprêtait à réagir, mais Leanora s'empressa de mettre son doigt sur sa bouche et de lui dire sur un ton un peu plus autoritaire :

"Non ne dis rien! Tu as fait ce que tu devais, et je ne peux pas vraiment t'en vouloir. Pourquoi tu m’as fait venir ? Parle ! Ne tourne pas autour du pot ! Tu t’attendais à quoi ? Des retrouvailles fraternelles ?"

Leanora lui en voulait indéniablement. Sa réaction était légitime, et Vlad le savait, même si au fond de lui il avait espéré une dernière entrevue plus chaleureuse. Pour la première fois de sa vie, Vlad affichait une mine triste et désolée, mais ce qui avait été fait était fait. Il dit seulement à sa sœur :

"J’ai jamais été doué pour veiller sur ma famille, mais j’suis comme ça !"

Il regardait sa propre sœur avec une expression de regrets. Elle était belle, mais elle avait bien grandit depuis qu’il l’avait quitté. Il ne savait rien de tout ce qui s’était passé sur l’île gelée, et il ne préférait pas savoir. Vlad estima que ce qu’il allait lui infliger était injuste, mais il n’avait pas le choix, et de toute façon, quitte à ce que quelqu’un prenne le flambeau, mieux valait que ce soit une personne de son propre sang. Il comprit alors que cela ne servait à rien de bavarder et de broder sa demande. Il soupira, puis il dit à sa sœur en montrant l’Arme Céleste :

"Tu vois cette arme ? Le sang de centaines de guerriers a coulé en quelques jours. Ils étaient tous là pour l’avoir, mais c’est moi qui ai eut ce privilège !"

Privilège, le mot était un peu déplacé. Cette arme avait ruiné la vie de Vlad, mais elle avait surtout rendu possible toutes les choses qu’il avait accompli. Il s’éloigna alors un peu de sa sœur, puis il détourna le regard avant de lui dire :

"Cette arme est maudite, et elle a déjà pourrit mon âme ! J’vais crever à cause d’elle !"

Voilà, c’était dit. Leanora avait besoin de l’entendre de la bouche de son frère. Non pas qu’elle ne croyait pas Nerina, mais cela lui ôtait un poids du cœur. A peine sous le choc, elle attendait tout simplement la suite de son récit sans dire un mot. Vlad se tourna vers Nerina, puis il lui dit :

"Ina ! Ma p’tite Ina ! J’te remercierais jamais assez pour ta fidélité et ton affection ! J’ai fait ce que j’ai pu pour t’aider et t’aimer, mais j’étais p’t’être pas la personne que tu espérais. Après mon départ, j’te demanderais juste de garder un œil sur ma sœur ! Elle s’adaptera vite, mais on sait jamais…"

Il lui adressa un signe de tête affectueux. Vlad venait de lui adresser ses dernières paroles. Cette fois, il se tourna vers Armetia, avec un poids au cœur tout aussi lourd, mais différent cette fois. Il la regarda longuement dans le blanc des yeux sans dire un seul mot. Son regard passa sur son fils, qui somnolait paisiblement sans même pouvoir imaginer que quelque chose pourrait venir perturber sa protection maternelle. Vlad sourit en les regardant tous les deux. Il savait qu’Armetia s’occuperait bien de lui. Il lui dit :

"Armetia… Merci pour tout ! J’ai pas été à la hauteur… T’as su trouver en moi le peu de bon qui existait, et ça personne d’autre aurait pu l’faire ! Excuse-moi d’pas pouvoir élever Angel. Mais j’sais que tu te débrouilleras à merveille ! Essaie qu’il devienne pas comme son père…"

Il avait dit ça avec un sourire franc. Enfin, il se tourna vers sa sœur. Elle qu’il avait laissé en pleine adolescence, et qu’il retrouvait presque adulte. Elle était devenue si fière et si belle. Il ne connaissait presque rien d’elle et ils n’avaient tout deux en commun que les souvenirs de leur enfance. Aucune expérience fraternelle partagée, rien que des souvenirs lointains. Vlad fut subitement submergé par une vague de culpabilité, mais il se rattrapa bien rapidement.

"Ma sœur… J’ai une lourde mission à te confier. Comme t’as tu l’entendre, je suis l’actuel chef de tous les Hors-la-loi de cette île. Dis comme ça, tu pourrais croire qu’on est simplement une bande de malfrats, mais on est bien plus qu’ça ! On est tous des frères, et ce monde a pas voulu d’nous, alors on fait c’qu’on peut pour lui faire payer, et le remodeler à notre façon !"

Vlad posa sa grosse main sur l’épaule frêle de sa sœur puis il lui dit :

"J’veux que tu prenne ma place ! J’sais que tu connais rien de cet endroit, ni de la guerre et de tout ça… Mais tu auras du monde pour t’épauler. Tu dois trouver ça soudain, mais j’y réfléchis depuis longtemps, et tu as ce qu’il faut pour y arriver !"

La demande de Vlad était plutôt subite et maladroite. Leanora, sous le choc de cette requête, lui demanda simplement :

"Pourquoi moi ? Tu dois avoir des centaines d’hommes qui pourraient prendre ta place ? "

Vlad rigola. Il lui dit :

"Des centaines d’hommes ouais ! Mais j’te connais, tu t’laisseras pas faire ! J’vais pas laisser une fiotte détruire c’que j’ai bâti ! Toi t’as de la trempe et du caractère, et tu t’en sortiras !"

Leanora ne sut que dire. Etait-ce vraiment un compliment ? Elle n’en savait rien. Ses sentiments étaient actuellement partagés entre la sensation de n’être qu’une pièce rapportée, et le fait d’être au chevet de son frère mourant. Son hésitation la tiraillait de tout part, la faisant pencher un coup favorablement, un coup défavorablement. Voulait-elle vraiment de ce poste ? Pas franchement à l’heure actuelle. Mais pour son frère, elle pourrait peut-être accomplir une dernière faveur… Elle sortit de ses pensées, puis elle lui dit :

"Je le ferais ! Mais je ne veux pas être seule !"

Vlad parut soulagé, même si au fond de lui il savait que sa sœur accepterait. Il lui sourit, puis il lui dit :

"Tu s’ras pas toute seule ! Tu verras bien vite qui sont tes amis, mais fais bien attention en les choisissant ! Tu dois te faire tes propres amis, c’est pas eux qui doivent venir à toi… Maintenant, j’vais te confier une dernière tâche…"

Vlad s’écarta du petit groupe. Il dégaina l’Arme Céleste qui émit un sifflement caractéristique en glissant hors de son fourreau. Il contempla ses reflets argentés sous tous ses angles. Elle était l’aboutissement de sa vie. L’arme qui l’avait hissé jusqu’ici, et qui allait le faire dégringoler aussi vite. Il ferma les yeux, s’imprégnant une dernière fois des effluves magiques qui en émanaient. Il inspira profondément, puis son visage se crispa, et, en hurlant à plein poumons, il envoya l’arme à quelques mètres plus loin.

L’Arme Céleste était là, hors de sa portée, abandonnée sur l’herbe verte des hauts d’Eagol. Vlad la regardait avec envie à présent, comme s’il regrettait son geste, sentant le vide que provoquait cette séparation brutale. Il se détourna de ces pensées, puis il vint voir sa sœur, avant de lui dire :

"Cette arme est à toi ! Utilise là le moins possible ! Elle te rendra forte et endurante rien qu’en la portant ! Mais si tu l’utilises de trop, elle te fera devenir comme moi… Cependant, avant de pouvoir la maîtriser, il faut que tu fasses une dernière chose…"

Vlad fixa Leanora avec un air grave, puis, sur un ton plus faible, il lui dit :

"Tu dois chasser mon âme de cet objet… Et y a qu’un moyen pour ça…"

Lorsque Vlad avait prononcé ces mots, le visage de Leanora s'était figé. Elle ne savait pas grand chose de ce monde, de ses enchantements et de ses démons, mais elle n'était pas bête non plus. Il ne fallait pas être un génie pour déchiffrer ces paroles. Un regard hébété, la bouche bée, et une posture figée. Le temps semblait s'être arrêté pour Leanora, tout n'était que silence et ombre.

Mais ce répit fut rapidement troublé par celle qui semblait être la femme du Hors-la-loi. La jeune femme fut tirée de sa torpeur, puis elle écouta la réponse de Vlad aux paroles censées d'Armetia, en espérant qu'elle le ferait changer d'avis. A en juger par l'expression ironique qu'il affichait, elle savait que sa décision était prise.

"Seulement quoi? Tu l'sais aussi bien que moi! Plus on attendra, et plus ça sera dangereux pour vous et moi!"

Il regarda sa soeur, puis il lui dit sur un ton implorant :

"Fais-le Leanora! Fais-le pour ton frère! J'suis pas en mesure de te demander une faveur, mais accorde-moi au moins mon répit..."

Leanora baissa les yeux. Il avait raison. Même s'il s'était comporté comme un véritable égoïste avec elle, il restait son frère, et elle l'aimait. Le dernier de son sang, et il tomberait de ses mains. A croire que cela avait été écrit pour tous les membres de sa famille...

Elle releva la tête, les yeux embués, puis elle lui dit d'une voix tremblotante, ignorant les remarques d'Armetia :

"D'accord je le ferais..."

Elle se retourna, et se dirigea à petit pas vers la lourde épée qui gisait au sol. Elle fixa longuement cette arme aux reflets scintillants, puis se décida à se baisser pour s'en saisir. Mais tandis que ses doigts touchaient le pommeau métallique, elle sentit un petit picotement lui remonter le long du bras pour aller se loger jusque dans son échine. Une désagréable sensation, comme si quelqu'un prenait place dans son corps.

Cependant, elle ne s'arrêta pourtant pas dans son mouvement. Elle plaça ses deux mains sur l'arme, puis, la tira de toutes ses forces. Alors qu'elle soulevait l'arme, elle se sentit vaciller sous le poids considérable, mais elle se rattrapa finalement et redressa la lame à la verticale maladroitement, pour trouver un point d'équilibre. Cependant, un cri l'alerta : c'était son frère, au moment où elle semblait avoir pris l'arme, une atroce douleur avait pris possession de son corps l'espace de quelques secondes.

Malgré la surprise, elle ne relâche pas l'arme. A quelques mètres de son frère, elle fixait cette arme si attirante, source de puissance naturelle. Puis, elle se tourna vers Vlad, qui se relevait lentement, et elle lui dit :

"Je ne pourrais pas Vlad... Puis cette arme est bien trop lourde pour moi..."

Vlad sourit, puis il lui dit avec peine, comme si la vie le quittait à une vitesse phénoménale :

"T'as plus le choix maintenant! Tu dois m'tuer, où c'est elle qui te tueras!"

Là encore, le regard de Leanora se figea sous l'effet de la surprise. Pour répondre à cette question, Vlad lui dit :

"au même titre que si quelqu'un d'autre que vous tente d'utiliser cette arme ... son âme sera dévorée en quelques minutes ..."

Vlad leva la tête. Il venait de réciter les paroles que le démon lui avait dites lors de la bataille dans les plaines rouges, avant qu'il ne lui donne l'Arme Céleste. Il se tenait le bas ventre d'une main, et s'appuyait au sol sur l'autre. Il paraissait essoufflé et à bout de forces. Leanora le fixait d'un regard indigné, comme s'il lui avait tendu un piège. Il lui dit sur un ton autoritaire cette fois, son visage crispé par la douleur :

"Tue-moi! Fais-le avant qu'elle le fasse elle-même! Et fais bien gaffe à cette arme! Utilises la avec modération!"

Cette fois, Vlad luttait réellement contre la mort. A vrai dire, il luttait contre l'attraction qu'avait l'arme sur lui. Ce n'était plus qu'une question de temps... Son regard se posa sur Armetia, Angel, Nerina, puis sa sœur, et dans un ultime effort, il leur dit :

"Je vous aime..."

Puis, regardant une dernière fois Armetia, il lui dit :

"Raconte tout à Spaz. Dis-lui que j'voulais pas mourir face à un frère d'arme!"

Et il s'effondra au sol. Le silence pesait sur la colline qui surplombait Eagol. Le soleil abandonnait ses derniers rais avant de disparaître derrière l'horizon. Tout le monde avait son attention fixée sur le corps inanimé de Vlad. Le chef venait-il de s'éteindre?

Tout le monde se rapprochait peu à peu. Leanora tenait toujours l'Arme Céleste à bout de bras, luttant contre le poids insoutenable. Mais tandis que les trois femmes s'approchaient naturellement, Vlad se releva, comme pris d'une frénésie. Son regard avait changé, et il hurlait à pleins poumons. Les veines de ses tempes étaient gonflées, la sueur perlait sur son front, et ses yeux ne regardaient qu'une seule chose : l'Arme Céleste.

Le Hors-la-loi se rua alors sur sa sœur, mais il fut retenu par les lourdes chaînes fixées à ses pieds. Peu importait. Il était animé d'une volonté impressionnante, comme s'il enrageait, tout en étant guidé par une pulsion indécelable. Son âme maudite venait de le quitter, il ne lui restait plus que son arme...

Les larmes coulaient cette fois sur le visage de Leanora. Son visage se déforma sous le coup de la tristesse : son frère était mort. L'homme qui se tenait face à elle et qui donnait des grands coups de bras comme un aveugle qui aurait tenté d'arracher quelque chose se trouvant face à lui, n'était plus Vlad. Il s'agissait seulement d'un corps sans âme...

Elle s'approcha lentement, gémissant de tristesse cette fois, puis, elle fit un effort supplémentaire pour placer la lame à l'horizontale face à elle. La tenant à bout de bras, elle s'approchait de la furie que seules deux grosses chaînes retenaient. Puis, avançant progressivement, l'arme arriva bien vite au contact de l'homme agité. Il ne fallut plus que quelques secondes à Leanora pour enfoncer la lame comme dans du beurre. Elle poussa avec dégoût jusqu'à ce que l'homme qui fut autrefois son frère soit transpercé de part en part.

L'ancien Vlad se calma peu à peu. Un filet de sang lui sortait de la bouche. Désormais, il n'était plus qu'une créature morte pendant au bout de l'arme démoniaque tenue par sa sœur. Cette dernière explosa en sanglot, puis elle posa la tête sur le torse de l'homme mort, se laissant aller à un court dernier contact, avant que ce dernier ne s'effondre au sol...